L’invention de Dieu

Conférence donnée le 13 mai 2019 à l’Espace Saint-Jean (Nancy) par Thomas Römer

Professeur de Bible hébraïque à l’Université de Lausanne, titulaire de la chaire « Milieux bibliques » au Collège de France.

Compte-rendu par Brigitte Eckly

 

Thomas Römer

 

Qu’est-ce qu’un dieu ? Dans son catéchisme, Luther répond : « Dieu est cela à quoi ton cœur s’attache et se confie. »

Peut-on alors imaginer qu’il y a très longtemps, dans une oasis, quelques bédouins en mal de spiritualité ont inventé spontanément le Dieu que l’Histoire a promu au destin que l’on sait ?

Dans sa conférence Thomas Römer nous a livré les résultats de l’enquête qu’il a menée en confrontant les textes bibliques à d’autres sources documentaires et archéologiques, pour nous montrer que par ‘invention’ de Dieu il faut plutôt entendre construction collective et progressive, bousculée par les évènements survenus au cours des siècles chez le peuple des croyants.

 

• Le nom de Dieu, ses origines et les débuts de sa carrière

Yahvé (YHWH), AdonaÏ, Hashem, El, Kyrios. Si Dieu est unique, pourquoi lui donner un nom ? Pour le distinguer d’autres dieux ? Pourquoi des noms énigmatiques : « je suis qui je suis » ? Pour le protéger d’un usage abusif ?

L’histoire commence vers 1250-1200 av. J.C., au moment où une tribu nomade appelée Shasou rencontre au sud du Néguev une tribu appelée Israël 1, et lui fait connaître son dieu, Yahou ou Yahvé d’Edom. Israël l’adopte et le place à côté de El, son propre dieu.

De cet Israël-là naîtra, vers 900-800 av. J.C., un petit état avec une dynastie royale dont Jahvé devient le dieu tutélaire : Saül, puis David qui le fait entrer à Jérusalem (dans une arche qui ne contient que deux pierres – les tables de la Loi – et sans doute une statue), et Salomon qui l’installe dans un temple.

S’il y a deux royaumes (nord et sud), y avait-il deux dieux tutélaires?

 

• Les cultes rendus à Yahvé et ses représentations

Yahvé fait alors partie de l’assemblée des dieux, en concurrence avec les représentations de Baal ; il a mêmes fonctions et mêmes attributs (une compagne !) 2 et une statue. Dans les Psaumes, Yahvé est assis au milieu des dieux.

 

• Comment Yahvé devient le Dieu UN ?

Après la dissolution du royaume du nord (722 av. J.C.), le culte de Yahvé se poursuit dans le sud. Israël désigne maintenant le peuple du sud. Après l’échec du siège par les Assyriens (701 av. J.C.) de sa capitale, Jérusalem, celle-ci devient le symbole d’une ville protégée par Yahvé.

En 620 av. J.C. Josias, profitant de la faiblesse des Assyriens, réorganise le culte à Yahvé. Il proscrit les objets du culte des autres dieux et centralise le pouvoir et le culte en un seul lieu : Jérusalem : Dieu est UN.

 

• Du Dieu Un au Dieu unique

Les déportations à Babylone en 597 et 587 av. J.C., la destruction du Temple, l’exil du roi, et l’occupation du pays entament le crédit du Dieu UN. Pour éviter que le peuple d’Israël ne perde sa spécificité en même temps que sa foi au Dieu UN, les scribes réécrivent le roman national : l’exil n’est pas la conséquence de la faiblesse de Dieu mais de sa colère. Ils en profitent pour fixer les rites du vrai culte (Genèse et Lévitique) en les enracinant dans un passé réinventé.

Le conférencier conclut en réaffirmant que le travail de va-et-vient mené entre les théologiens, les historiens et les archéologues, toujours long et difficile, voire ingrat, s’avère nécessaire. Il permet d’approcher une vérité qui toujours à nouveau se dérobe, mais il constitue aussi le meilleur moyen de contrer l’obscurantisme, les fondamentalismes et les fanatismes  qui menacent aujourd’hui les trois religions monothéistes.

 

1 ‘Israël’ écrit sur la stèle de Mérenptah signifie : ‘Qu’El règne !’, El étant le nom de la divinité des panthéons cananéens ou proto-arabes.

2 Mention de ‘Yahvé et son Ashéra’ retrouvée à Kuntillet Ajrud, dans le désert du Sinaï.

 

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